Les médias alternatifs en question
APPEL A COMMUNICATION
Organisateurs :
Benjamin Ferron
CRAPE, moniteur (IEP de Rennes)
104, bd de la duchesse Anne
35000
Nicolas Harvey
CRAPE, ATER (Université de Haute Bretagne)
6, rue de la Motte Fablet
35000 Rennes
Eugénie Saitta
CRAPE, post-doctorante (MinorityMedia, Marie Curie Excellence Team, Université de Poitiers)
14, rue du Louis d’or
35000 Rennes
Discutant :
Jacques Le Bohec, professeur (Université de Lyon 2)
Peu de recherches françaises se sont attachées à l'étude des médias dits alternatifs (Cardon et Ganjon 2005 ; Chadaigne 2002 ; Ferron 2004). Il faut regarder du côté de la littérature anglophone (Atton 1999, 2002, 2003 ; Couldry et Curran 2003 ; Downing et al. 2001 ; Rodriguez 2000, 2001), hispanophone (Simpson Grinberg 1980 ; Trejo 1980 ; Marí Saez 2004 ; Calleja et Solís 2005) ou lusophone (Marcondes de Barro 2004) pour trouver une abondance de références. La sociologie du journalisme française a en effet essentiellement concentré son attention sur les médias les plus légitimes (François et Neveu 1995), à commencer par la presse quotidienne nationale, et plus récemment la télévision, qui a acquis un poids considérable dans l’espace journalistique à partir des années 1980 (Bourdieu 1996). Cette tendance à reproduire les hiérarchies internes au champ journalistique, par la sélection fréquente des entreprises de presse « de référence » ou dominantes, pour utiliser une terminologie moins équivoque, se retrouve aussi dans le choix des objets d'étude. Ainsi, les « marronniers » scientifiques ne manquent pas dans la discipline, que ce soit dans l'analyse des spécialités journalistiques[1], des contenus[2] , voire des supports médiatiques eux-mêmes[3] . En quoi l'analyse des médias alternatifs permet-elle d'éclairer d'un jour nouveau les questionnements qui travaillent l'étude sociologique du journalisme, que ce soit la définition de cette pratique sociale, la mise au jour des logiques qui régissent les luttes pour la définition de ses frontières légitimes, de la définition de son autonomie, voire du récit de sa trajectoire historique ?
Posons une première définition du terme « média alternatif ». Au sens littéral, l'expression désigne une « alternative à » quelque chose. Simple en apparence, cette définition permet d'interroger la notion d'autonomie des médias alternatifs car elle invite à rompre avec la tendance à penser l'économie – y compris symbolique – de ces médias sur un mode autarcique, fréquente dans les autodéfinitions indigènes. Se poser en « alternative à » implique en effet une relation d’interdépendance aux autres médias. Cette définition permet donc d’aborder les médias alternatifs comme des agents collectifs occupant une certaine position au sein du champ journalistique, à la périphérie de ce dernier. Elle permet également de les localiser à la croisée, et souvent en marge, de plusieurs autres microcosmes sociaux : la sphère militante, le monde syndical, le champ politique, le milieu associatif, l'édition, l'université, etc. La réflexion que nous proposons sur la définition des médias alternatifs a ainsi pour ambition de participer à la « cartographie » des positions et des oppositions qui structurent l'espace social du journalisme, et à penser non seulement l’extrême variété des médias en général, mais les luttes pour la définition des systèmes de représentation et de médiation légitimes qui structurent cet espace.
L'atelier propose ainsi aux éventuels participants une réflexion sur l’espace des médias alternatifs et de leur position problématique dans ou vis-à-vis du champ journalistique. Notre questionnement pourrait se concentrer en premier lieu sur les luttes de dénomination autour de cet objet. Que regroupe-t-on sous ce terme ? Plusieurs qualificatifs sont couramment utilisées pour désigner ces médias et les mobilisations sociales auxquelles ils sont liés : alternatifs (Atton 1999, 2002, 2003), radicaux (Downing et al. 2001), citoyens (Rodriguez 2001), marginaux (Trejo 1980 ; Zapata 1989), participatifs (Alfaro Moreno 2004), de contre-information (Cassigoli 1989), parallèles (Chadaigne 2002), communautaires (Fuller 2001 ; Van Oyen 2003 ; Gumucio Dagron 2004), underground (Ke 2000 ; Menayang, Nugroho et Listiorini 2002 ; Lewes 2000), populaires (Van Oyen 2003), libres (Cazenave 1984), dissidents (Streitmatter 2001), résistants (Switzer et Adhikari 2000), clandestins (Soley et Nichols 1987), ou micro-médias (Rio Donoso 1996). Cette profusion invite à formuler trois axes de réflexion.
Tout d’abord, les luttes pour la connaissance et la reconnaissance de ces médias mettent en jeu divers types d’acteurs, en particulier des groupes sociaux minorisés et des acteurs institutionnels. Ainsi, les débats juridiques et politiques qui ont entouré la récente légalisation de neuf radios « communautaires » au Mexique (Calleja et Solís 2005), illustre les difficultés rencontrées par les militants des « droits informatifs » pour introduire dans les catégories du droit officiel la notion de « média communautaire » : elle est en effet perçue par les autorités mexicaines comme une menace pour le référentiel légitime d'action publique, centré sur des catégories comme celles de « médias indigènes », à laquelle les médias communautaires refusent d'être assimilés. Cette notion a en effet été institutionnalisée dans le cadre des politiques dites « indigénistes », avec pour principal effet la neutralisation du potentiel subversif de ces outils de communication sur des populations marginalisées (Castell-Talens 2002). Les luttes autour des représentations légitimes de ces médias peuvent avoir pour enjeux, selon les cas, des questions d'appellation, des revendications pour une « cause », ou encore des positionnements politiques. Cependant, la diversité des appellations qu’on attribue à ces médias ne doit pas interdire une réflexion sur les éléments qui peuvent les rassembler. Le discours d’opposition ou de distinction à l’égard des médias dominants dans le champ journalistique pourrait, par exemple, constituer un premier point commun, qu’il s’agit de mettre en discussion.
Ensuite, plus qu’une réflexion autour d’une terminologie adéquate pour désigner ces médias, c’est une analyse des mécanismes qui nous préoccupe et, en premier lieu, des mécanismes internes au champ journalistique. Dans quelle mesure les médias alternatifs se distinguent-ils des médias qui occupent des positions dominantes dans ce champ ? L’analyse des mécanismes de distinction portera sur plusieurs niveaux : modes d'organisation interne (division du travail, finances, administration, etc.) ; contenus médiatiques (processus de production, systèmes de représentations) ; pratiques journalistiques (notamment dans la relation aux sources et l'analyse des circuits de diffusion) ; propriétés sociologiques des agents ; publics visés. Par exemple, comment une analyse des trajectoires individuelles permet-elle d’expliquer les passages fréquents de journalistes d’un type de médias à un autre ? En second lieu, en quoi l’analyse des mécanismes externes permet-elle de comprendre les interdépendances des médias alternatifs à d’autres univers sociaux ? En particulier, quels sont leurs liens aux pouvoirs économiques (les producteurs sur les marchés de biens matériels et symboliques) et politiques (l’Etat, les collectivités locales, les organismes internationaux, etc.) ?
Enfin, c’est la série même d’oppositions couramment mobilisée par les médias alternatifs et la littérature sur ces mêmes médias qu’il s’agira de soumettre à l’analyse. Quelle est la pertinence des oppositions généralement faites entre médias dominés et médias dominants, ou encore entre class media[4] et mass media, entre média alternatif et mainstream media ? Ne peut-on pas imaginer un « média de masse alternatif » ? Le cas du Monde Diplomatique questionne tout particulièrement cet aspect. En effet, son lectorat possède un capital culturel élevé et sa diffusion est planétaire, avec un tirage d’environ 2 millions de copies papier en 25 langues différentes, ce qui peut faire du Monde diplomatique un alter-class medium, surtout si l’on prend en compte son positionnement dans le mouvement altermondialiste en général et dans la critique des médias dominants en particulier, ainsi que son rôle important dans la création de l’Observatoire français des médias. Le positionnement des médias alternatifs dans l’espace journalistique n’est pas à penser seulement en termes de différenciation – cette posture analytique ne ferait qu’entériner le discours militant des médias alternatifs dans leur recherche de profits de distinction – mais aussi de proximité ou de similarité avec les médias dominants. Notre posture de recherche ne vise cependant ni à célébrer une forme inédite d’espace d’expression libre, ni à discréditer des médias ayant échoué à rompre totalement avec les modèles journalistiques dominants (Comedia 1984), mais à prendre la mesure des formes de rupture et de continuité qui existent entre ces deux pôles de l’espace journalistique.
Les personnes désirant proposer une communication sur l'un de ces thèmes sont priées de faire parvenir aux trois organisateurs un résumé (deux pages maximum) incluant la méthodologie et les principaux éléments de conclusion avant le 5 février 2007. Toute autre proposition concernant les médias alternatifs sera également prise en compte.
Bibliographie indicative
· Alfaro Moreno, R. M., “Culturas populares y comunicacion participativa : en la ruta de las redefiniciones”, OURMedia III, Barranquilla Colombia, May 20, 2003.
· Atton, C., « A reassessment of the alternative press », Media, Culture and Society, vol. 21, 1999.
· Atton, C., Alternative Media,
· Atton, C., “What is ‘alternative journalism’ ?”, Journalism, vol. 4(3), London, Thousand Oaks and New Delhi, Sage Publications, 2003, p. 267-272.
· Browne, D. R., Ethnic Minorities, Electronic Media, and the Public Sphere,
· Calleja, A., Solís, B., Con Permiso : La Radio Comunitaria en México, México, AMARC México, Comunicación Comunitaria A.C., Fundación Friedrich Ebert, AMEDI, CMDPDH, 2005.
· Cardon, D. et F. Granjon, « Médias alternatifs et média-activistes », L’Altermondialisme en France, Paris, Flammarion, 2005.
· Cassigoli, A., “Sobre la contrainformación y los asi llamados medios alternativos” in Simpson Grinberg, Máximo (dir.), Comunicación alternativa y cambio social. 1. América Latina. México : coll. La Red de Jonas, Premia Editora, 1989 (1986), pp. 63-71.
· Castells-Talens, A., « Formulation and Implementation of Indigenous Radio Policy in México », Submitted for presentation to « Our Media, Not Theirs II », the Pre-conference on Alternative Media at IAMCR,
· Cazenave, F., Les radios libres. Paris : Presses Universitaires de France, 1984.
· Chadaigne, P.-J., La communication alternative : la presse parallèle en France dans les années 60 à la fin des années 90, Paris, Thèse de doctorat en sciences de l’information et de la communication, Université Paris II, mars 2002.
· Comedia, « The alternative press: The development of underdevelopment », Media, Culture and Society, no 6, 1984.
· Couldry, N. et J. Curran (dir.), Contesting Media Power: Alternative Media in networked World,
· Downing, J. D. H. (ed.), Radical Media : Rebellious Communication and Social Movements, Londres, Sage Publications, 2001.
· Ferron, B., La presse alternative locale en France, Mémoire de DEA, IEP de Rennes, 2004.
· Marcondes de Barros, P. (2004), « Stultíferas Navis : a imprensa alternativa
· Marí Sáez, V. M. (coord.) (2004),
· Menayang, V., Nugroho, B., Listiorini, D., “Indonesia’s Underground Press. The media and social movements”, Gazette : the International Journal for Communication Studies, SAGE Publications, vol. 64(2), 2002, pp. 141-156.
· Neveu, E., ‘Médias, mouvements sociaux et espaces publics’, Réseaux, no 98, 1999.
· Rio Donoso (Del), L., 1996 : 6-36. Les micro-médias imprimés. Recherches sur la micropresse pendant la résistance chilienne. 1973-1989, Paris : thèse de doctorat en Etudes des Sociétés Latino-Américaines, sous la dir. de Marie-Danielle Demelas-Bohy, Université de
· Rodriguez, C., « Civil society and Citizen’s media », Redeveloping Communication for Social Change, Boulder CO, Rowman and Littlefield, 2000.
· Rodriguez, C., Fissures in the Mediascape. An International Study of Citizen’s Media, Cresskill, New Jersey, Hampton Press Inc., 2001.
· Simpson Grinberg, M. (dir.), Comunicación Alternativa y Cambio Social, México, Premia, 1989.
· Soley, L. C., Nichols, J. S., Clandestine Radio Broadcasting: A Study of Revolutionary and Counterrevolutionary Electronic Communication, Praeger Publisher, 1987.
· Streitmatter, R., Voices of revolution. The dissident press in America, Columbia University Press,
· Switzer, L., Adhikari, M. (eds.),
· Trejo, R., La prensa marginal, Segunda edició n, México D.F., ediciones « El Caballito, 1980.
· Van Oeyen, V., “Los desafíos de
· VIVANT E., « Le soutien aux expériences artistiques alternatives : une rupture dans les politiques culturelles ? », Laboratoire Théories des Mutations Urbaines – Institut Français d’Urbanisme, Université, Paris 8, 8ème colloque- Brésil-France, organisé par Intercom et le Gresec, avec la collaboration de la SFSIC, ICM-Echirolles, 29 et 30 septembre 2006.
· Zapata, M., “Testimonios : el combate de la radios marginales”, in Simpson Grinberg, Máximo (dir.), Comunicación alternativa y cambio social. 1. América Latina. México : coll.
[1] Par exemple, le journalisme politique ou culturel,au détriment du journalisme social (Lévêque 2000).
[2] Par exemple, l'analyse de la couverture journalistique des élections à l’échelle nationale.
[3] Par exemple, la presse écrite, la radio et la télévision, au détriment de formes moins conventionnelles de diffusion d'information telles que l'affiche, le fanzine, le graffiti, la musique, la danse, le théâtre contestataires, etc., (Downing et al. 2001).
[4] Class media peut être traduit en français par médias élitistes (voir Neveu 1999). Le Financial Times en est un exemple. Neveu (1999) considère que les class media sont les seuls à s’être véritablement mondialisés.